Ousmane Sembène, né le 1er janvier 1923 à Ziguinchor (Sénégal), est aujourd'hui le doyen des réalisateurs africains. Mais il est aussi acteur, scénariste, écrivain et surtout un militant obstiné, construisant son œuvre multiforme sur son engagement politique et social.


Ousmane Sembène est né en 1923 à Ziguinchor, une ville de la Casamance. À partir de 7 ans, il fréquente l’école coranique et l’école française, apprenant à la fois le français et l’arabe, alors que sa langue maternelle est le wolof.

En 1942, il est mobilisé par l’armée française et intègre les tirailleurs sénégalais.

En 1946, il embarque clandestinement pour la France et débarque à Marseille, où il vivra de différents petits travaux. Il sera notamment docker au Port de Marseille. Il adhère à la CGT et au Parti communiste français. Il milite contre la guerre en Indochine et pour l’indépendance de l’Algérie.

En 1956, il publie son premier roman, « Le Docker noir » qui relate son expérience de docker. Il sera suivi en 1957 par « Ô pays, mon beau peuple » En 1960, il publie un nouveau roman, « les Bouts de bois de Dieu » qui raconte l’histoire de la grève des cheminots en 1947-1948 du « Dakar-Niger», la ligne de chemin de fer qui relie Dakar à Bamako. L’histoire se déroule parallèlement à Dakar, Thiès et Bamako sur fond de colonialisme et de lutte des cheminots pour accéder aux mêmes droits que les cheminots français.

En 1960, l’année de l’indépendance du Soudan français — qui devient le Mali — et du Sénégal, Ousmane Sembène rentre en Afrique. Il voyage à travers différents pays : le Mali, la Guinée, le Congo. Il commence à penser au cinéma, pour donner une autre image de l’Afrique, voulant montrer la réalité à travers les masques, les danses, les représentations.

En 1961, il entre dans une école de cinéma à Moscou. Il réalise dès 1962 son premier court-métrage « Borom Saret » (Le Bonhomme charrette), suivi en 1964 par « Niaye ».

En 1966 sort son premier long-métrage, qui est aussi le premier long métrage « négro-africain » du continent, intitulé «La noire de...» (Prix Jean Vigo de la même année). D'emblée, Ousmane Sembène se place sur le terrain de la critique sociale et politique avec l'histoire d’une jeune sénégalaise qui quitte son pays et sa famille pour venir en France travailler chez un couple qui l’humiliera et la traitera en esclave, la poussant jusqu'au suicide.

Considéré comme l'un de ses chef-d'œuvres et couronné par le Prix de la Critique Internationale au Festival de Venise, «Le mandat» (1968) est une comédie acerbe contre la nouvelle bourgeoisie sénégalaise, apparue avec l'indépendance.

En 1979, son film «Ceddo» est d'ailleurs interdit au Sénégal par le président Léopold Sédar Senghor qui justifiera officiellement cette censure par une « faute » orthographe : le terme ceddo ne s'écrirait (selon lui) qu'avec un seul « d » ! Évidemment, l' explication est fantaisiste, le pouvoir sénégalais ayant en fait à cœur de ne pas froisser les autorités religieuses, notamment musulmanes. Sembène relate la révolte à la fin du XVIIe siècle des Ceddos, peuple aux convictions animistes qui refuse de se convertir. Il attaque ainsi avec virulence les invasions conjointes du catholicisme et de l'islam en Afrique de l’Ouest, leur rôle dans le délitement des structures sociales traditionnelles avec la complicité de l'aristocratie locale.

En 1988, malgré le prix spécial du jury reçu à la Festival de Venise, il est victime à nouveau de la censure, mais en France cette fois-ci, avec « Le Camp de Thiaroye », film hommage aux tirailleurs sénégalais et surtout dénonciation d'un épisode accablant pour l'armée coloniale française en Afrique.

En 2000, avec « Faat Kiné », il débute un triptyque sur « l’héroïsme au quotidien », dont les deux premiers volets sont consacrés à la condition de la femme africaine (le troisième, « La Confrérie des Rats» est en préparation). Le second, « Mooladé» (2003), aborde de front le thême très sensible de l'excision. Le film relate l’histoire de quatre fillettes qui fuient l’excision et trouvent refuge auprès d’une femme, Collé Ardo (jouée par la malienne Fatoumata Coulibaly), qui leur offre l’hospitalité (le Mooladé) malgré les pressions du village et de son mari. Sembène a récolté à cette occasion une nouvelle kyrielle de récompenses en 2004 : prix du Meilleur film étranger décerné par la Critique américaine, prix Un certain regard à Cannes, prix spécial du jury au Festival International de Marrakech entre autres.

Des récompenses qui viennent compléter une liste décidemment très longue, dans laquelle on remarquera notamment le prestigieux prix Harvard Film Archive décerné par l'Université Harvard de Boston en 2001. Sembène semble heureusement ne s'être jamais assoupi dans une autosatisfaction molle et confortable. L'infatigable revendique toujours un cinéma militant et va lui-même de village en village, parcourant l'Afrique, pour montrer ses films et transmettre son message.