Prosper Jolyot de Crébillon est un auteur dramatique français né à Dijon le 13 janvier 1674 et mort à Paris le 17 juin 1762. Il est souvent appelé Crébillon père pour le distinguer de son fils Claude Prosper Jolyot de Crébillon, lui aussi écrivain, dit Crébillon fils.

Fils de Melchior Jolyot, greffier de la chambre des comptes de Dijon, Prosper Jolyot de Crébillon commença ses études au collège de Jésuites des Godrans dans sa ville natale et les poursuivit au collège Mazarin à Paris. Suivant le vœu de son père, il devint avocat et trouva un emploi de clerc chez un procureur nommé Prieur. En 1707, il épousa une jeune fille pauvre qui lui donna un fils, Claude Prosper qui fut lui-même écrivain, et une fille.

Le procureur Prieur, fils d'un ami de Scarron, fut frappé de son goût pour le théâtre et l'exhorta à écrire des pièces. Crébillon hésita longtemps et finit par présenter une tragédie, La mort des enfants de Brutus, qui fut refusée. Cet échec le découragea mais, toujours poussé par son procureur, il composa une nouvelle tragédie, Idoménée, qui fut représentée en décembre 1705 et remporta un assez grand succès. Elle fut suivie d'Atrée et Thyeste en 1707, pièce remarquable, l'une des plus connues de l'auteur, Électre en 1709, Rhadamiste et Zénobie en 1711, Xerxès en 1714, Sémiramis en 1717. Les deux dernières pièces furent accueillies froidement. Crébillon en conçut un profond découragement et renonça au théâtre.

Ayant perdu son père, mort insolvable, il se débattit alors dans des difficultés d'argent, résultat de sa prodigalité, de son incurie, de son goût de l'indépendance et des plaisirs et de sa tendance à la rêverie. Il perdit sa femme, ne trouva pas le secours qu'il attendait chez ses amis, et se jetta dans la misanthropie. Il vivait dans un grenier, entouré de chiens, de chats et de corbeaux, fumant sans cesse et ne voyant personne que son fils. Dans cette solitude, il s'occupait à composer dans sa tête, car il avait une excellente mémoire, des romans qu'il négligeait ensuite de coucher sur le papier.

En 1726, Crébillon donna avec succès une nouvelle tragédie, Pyrrhus (1726), qui appela de nouveau l'attention sur lui. En 1731, on l'élit à l'Académie française. Il innova dans la forme en composant son discours de réception en alexandrins. On en retint ce vers, qui fut vivement applaudi car il parut sincère : « Aucun fiel n'a jamais empoisonné ma plume. » En 1735, il fut nommé censeur royal et, en 1745, Madame de Pompadour lui fit attribuer une pension de 1.000 livres et une place de bibliothécaire du roi.

Ces faveurs visaient principalement à susciter un rival à Voltaire, qui avait déplu en lançant des épigrammes contre la favorite, et dont la réputation reposait alors avant tout sur ses tragédies. Les adversaires de Voltaire pressèrent Crébillon de donner de nouvelles tragédies. En définitive, il acheva et fit représenter son Catilina (1742), avec une grande magnificence. La cabbale en assura le succès, mais celui-ci ne se soutint pas quand la pièce fut imprimée, ni surtout quand Voltaire eut fait représenter sa Rome sauvée sur le même sujet. En 1754, la dernière tragédie de Crébillon, Le Triumvirat, fut accueillie froidement.

A sa mort en 1762, les comédiens de Paris organisèrent en son honneur un service funèbre auquel assistaient, avec les membres de l’Académie et beaucoup de littérateurs, un grand nombre de comédiens et comédiennes, au scandale de l'Église.

Le théâtre de Crébillon tient une place importante dans l'histoire littéraire, à la fois par sa valeur propre et par les discussions dont il a fait l'objet. À une époque où les auteurs de tragédies cherchaient à imiter servilement Jean Racine, à l'image du baron Hilaire de Longepierre, dont il est intéressant de comparer la tragédie Électre, créée en 1702, à la pièce de Crébillon donnée quelques années plus tard sur le même sujet, Crébillon innova avec des pièces fondées moins sur la psychologie que sur une sorte de « tragique de situation », à coup de scènes d'horreur, de reconnaissances et autres coups de théâtre qui annoncent le mélodrame du XIXe siècle.

Les pièces de Crébillon renferment des scènes saisissantes, et des vers bien frappés, énergiques, dont plusieurs sont passés en maximes. Mais elles ont également de graves défauts : des intrigues souvent très compliquées, difficiles à suivre, et une versification parfois incorrecte, souvent relâchée, un style dur, heurté, parfois obscur. Crébillon écrivait vite et avec peu de soin. L'élégance n'était pas son souci, et sa culture mythologique et historique est souvent prise en défaut.

« Crébillon, écrit d'Alembert, a montré la perversité humaine dans toute son atrocité ... Il a cru remplir par ce moyen un des deux grands objets que les Grecs regardaient comme le but de la tragédie, la terreur ... Ce but général et unique des pièces de Crébillon leur donne un ton de couleur sombre par lequel elles se ressemblent toutes ... Elles sont encore semblables par les moyens que l'auteur emploie pour produire des situations théâtrales ; les reconnaissances surtout sont un de ceux dont il fait le plus fréquent usage : mais rendons-lui du moins la justice d'avouer qu'il en a fait l'usage le plus heureux ... Crébillon n'a guère que des vers heureux, mais des vers que l'on retient malgré soi, des vers d'un caractère aussi fier qu'original, des vers enfin qui n'appartiennent qu'à lui, et dont l'âpreté mâle exprime, pour ainsi dire, la physionomie de l'auteur. Si les détails de la versification ne souffrent pas chez lui l'examen rigoureux, si la lecture de ses pièces est raboteuse et pénible, l'énergie de ses caractères et le coloris vigoureux de ses tableaux produiront toujours un grand effet au théâtre. »