Jeudi soir, le
tribunal de Bayeux a rendu son verdict en
confiant la garde de la petite Atifa
Benhalima à Ali Benhalima officiellement
devenu son père adoptif. Un
destin incroyable
Étonnante histoire
que celle de cette petite blondinette de
six ans abandonnée à sa naissance sous
la pile nord du pont Roch à Bayeux,
recueillie et cachée par un SDF de 45
ans et enfin découverte l'an dernier par
les services sociaux de la ville.
C'est un passant
qui a donné le signal. Surpris de
trouver une fillette au milieu des
marginaux, Jean-Louis Pichot a d'abord
contacté la police. "Je suis
resté à l'écart pour observer, avait-il
déclaré alors, mais à l'arrivée du
véhicule, ils ont tous décampé, et la
fillette aussi". Ce n'est que
quelques jours plus tard que trois agents
municipaux accompagnés d'une assistante
sociale du département ont découvert la
fillette. "Il a fallu négocier
ferme, ils ne voulaient pas lâcher
l'enfant, surtout M. Benhalima, et c'est
un costaud ! se rappelle Henriette
Sapin, la petite non plus ne voulait
pas nous suivre [...] finalement on a
réussi à les convaincre".
L'enfant
du pont
Pendant plus de
cinq ans M. Ali Benhalima assisté
des "tontons", deux
autres marginaux du pont, est parvenu à
nourrir, à soigner et à élever la
petite Atifa sans que personne ne se
rende compte de rien. "On a
galéré, déclare-t-il, au
début, j'étais tout seul sous la pile
nord, y'avait du passage et pas d'abri.
Très vite Bernard et Seb de la pile sud
m'ont proposé de venir emménager chez
eux. Y'a une niche profonde dans la pile
sud, avec une porte qui ferme. C'est pas
l'endroit idéal pour une gamine mais
pour les beaux jours ça allait. [...] En
hiver on allait dans des squats, c'était
quand même plus sain, mais fallait
décamper à la fin de la trêve
hivernale. On savait très bien que si
quelqu'un trouvait Atifa, on nous la
prendrait. Alors on passait huit mois sur
douze sous le pont. Bébé, quand elle
pleurait, ça passait pour un miaulement
d'un chat. Y'en a beaucoup qui se battent
sous le pont. Personne ne nous a jamais
embêté. Quand j'allais bosser les
tontons veillaient sur elle. Sans eux
rien n'aurait été possible."
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Un
double sauvetage
Ancien
légionnaire, M. Benhalima n'avait jusque
là jamais réussi à s'intégrer dans la
vie civile. A 35 ans, il arrive en
France, pays qu'il ne connaît pas.
Personne ne l'attend. C'est une lente
descente aux enfers, l'alcool, la drogue,
la rue... "Quand Atifa est
rentrée dans ma vie j'étais plus qu'une
ombre". Si on l'interroge sur
ses motivations la réponse est simple : "Elle
m'a donné une raison de vivre, une
raison de me battre, sans elle je serais
déjà mort. Elle aussi, elle m'a sauvé.
Évidemment on pourrait penser que c'est
égoïste de ma part, que j'aurais dû la
confier aux services sociaux dès le
départ, mais elle n'a jamais manqué de
rien, elle sait même lire grâce à
Bernard et elle parle un peu
l'arabe".
Un
choc salutaire
L'intervention des
services sociaux au bout de cinq ans a
été un choc dans la vie des trois
hommes et de la fillette. "J'ai
dit que c'était ma fille, mais avec sa
blondeur et le bleu de ses yeux on ne m'a
pas cru. De toute façon ça changeait
pas grand chose. On me l'aurait prise de
tout manière. Finalement la petite
était tellement malheureuse qu'on m'a
laissé la voir tous les jours au
foyer". Dès lors, bien décidé
à récupérer Atifa, l'ancien
légionnaire retrouve le goût du combat
et renverse tous les obstacles qui se
dressent devant lui. Il apprend à lire,
trouve un emploi d'agent de sécurité,
obtient un logement puis réclame la
garde de la petite. Quand il se présente
devant le juge jeudi matin, c'est un
autre homme. On l'écoute avec attention.
Mais finalement c'est le témoignage de
la fillette qui a convaincu le juge. "C'était
très émouvant, j'en ai pleuré, avoue
Mlle Jeanneau, avocate de M Behalima,
elle a parlé de son père et de ses
tontons avec des mots si simples et si
tendres que toute l'assistance fut
instantanément convaincue qu'il
s'agissait là d'une vrai famille. L'ADN
ne fait pas tout, l'argent non
plus".
Ce matin Atifa a
rejoint le domicile de son père. Dès
lundi, elle intégrera l'école du
quartier... de l'autre côté du pont.
J.P
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