Le texte :
Une après-midi, à la récréation de quatre heures, le
grand Michu me prit à part, dans un coin de la cour. Il avait un air
grave qui me frappa d'une certaine crainte; car le grand Michu était
un gaillard, aux poings énormes, que, pour rien au monde, je n'aurais
voulu avoir pour ennemi.
- Écoute, me dit-il de sa voix grasse de paysan à peine
dégrossi, écoute, veux-tu en être ?
Je répondis carrément: «Oui!» flatté d'être de quelque
chose avec le grand Michu. Alors, il m'expliqua qu'il s'agissait d'un
complot. Les confidences qu'il me fit me causèrent une sensation
délicieuse, que je n'ai jamais peut-être éprouvée depuis. Enfin,
j'entrais dans les folles aventures de la vie, j'allais avoir un
secret à garder, une bataille à livrer. Et, certes, l'effroi inavoué
que je ressentais à l'idée de me compromettre de la sorte comptait
pour une bonne moitié dans les joies cuisantes de mon nouveau rôle de
complice.
Aussi, pendant que le grand Michu parlait, étais-je en
admiration devant lui. Il m'initia d'un ton un peu rude, comme un
conscrit dans l'énergie duquel on a une médiocre confiance.
Cependant, le frémissement d'aise, l'air d'extase enthousiaste que je
devais avoir en l'écoutant, finirent par lui donner une meilleure
opinion de moi.
Comme la cloche sonnait le second coup, en allant tous
deux prendre nos rangs pour rentrer à l'étude :
- C'est entendu, n'est-ce pas? me dit-il à voix basse.
Tu es des nôtres... Tu n'auras pas peur, au moins ; tu ne trahiras
pas ?
- Oh ! non, tu verras... C'est juré.
Il me regarda de ses yeux gris, bien en face, avec une
vraie dignité d'homme mûr, et me dit encore :
- Autrement, tu sais, je ne te battrai pas, mais je
dirai partout que tu es un traître, et personne ne te parlera plus.
Je me souviens encore du singulier effet que me
produisit cette menace. Elle me donna un courage énorme. « Bast ! me
disais-je, ils peuvent bien me donner deux mille vers ; du diable si
je trahis Michu ! » J'attendis avec une impatience fébrile l'heure du
dîner. La révolte devait éclater au réfectoire.
Emile Zola, Le Grand Michu (1874) -
Nouvelle extraite des Nouveaux Contes à Ninon
Première partie (25 points)
Corrigé des Questions (15 points)
I. Une scène décisive
1. Relevez précisément dans le début du texte les éléments qui
indiquent où et quand se déroule la scène. (1 point)
La scène se déroule "dans un coin de la
cour","une après-midi, à la récréation de quatre heures".
2. « Je me souviens encore du singulier effet que me produisit cette
menace. »
a) Identifiez le temps de chacun des verbes (0,5 point)
Le premier verbe, "souviens", est au présent
(de l'indicatif).
Le second, "produisit", est au passé simple.
b) Donnez-en la valeur. (1 point)
Pour le premier verbe, "souviens", il s'agit
d'un présent d'énonciation.
Le passé simple du second, "produisit", exprime un fait unique du
passé, envisagé dans sa globalité : l'instant où le narrateur a
éprouvé ce "courage énorme".
c) A quelles époques de la vie du narrateur renvoient-ils ? (1 point)
Le premier verbe, "souviens", renvoie
au présent du narrateur, au moment où il se remémore ces événements,
probablement à l'âge adulte.
Le second, "produisit", renvoie au passé du narrateur, à son
enfance.
3. « Il m'initia d'un ton un peu rude, comme un conscrit dans
l'énergie duquel on a une médiocre confiance. »
a) Dans le contexte de la phrase, expliquez le sens du verbe «
initier ». (0,5 point)
"Initier" signifie ici "informer", "mettre
dans la confidence". Le grand Michu révèle son projet secret au
narrateur.
b) Quelle figure de style est utilisée dans cette phrase ? (0,5
point)
C'est une comparaison.
c) Expliquez le rapport qu’elle établit entre les deux personnages.
(0,5 point)
Cette comparaison établit un rapport
hiérarchique et militaire entre les deux protagonistes :
l'instructeur "au ton rude" et le "conscrit".
II. Le grand Michu et le narrateur
1. Dans l’ensemble du texte, relevez quatre mots ou expressions qui
permettent de dresser un portrait physique de Michu. (1 point)
Michu est un "grand [...] gaillard aux
poings énormes" et aux "yeux gris" qui parle d'une "voix
grasse de paysan à peine dégrossi".
2. « Il avait un air grave qui me frappa d'une certaine crainte; car
le grand Michu était un gaillard, aux poings énormes, que, pour rien
au monde, je n'aurais voulu avoir pour ennemi. »
Relevez les deux propositions subordonnées. Précisez leur classe
grammaticale. (1,5 point)
Cette phrase contient deux propositions
subordonnées relatives :
- "qui me frappa d'une certaine crainte"
- "que, pour rien au monde, je n'aurais voulu avoir pour ennemi."
3. D’après vos réponses aux questions 1 et 2, précisez le sentiment
que Michu inspire au narrateur. (0,5 point)
Michu inspire de la crainte au narrateur.
4. Quel autre effet Michu produit-il sur le narrateur ?
Relevez, dans la suite du texte, deux mots ou expressions qui
justifient votre réponse. (1,5 point)
Le narrateur éprouve également de
l'admiration pour ce
personnage (il est "en admiration", "flatté d'être de quelque
chose avec lui").
5. « Je me souviens encore du singulier effet que me produisit cette
menace. Elle me donna un courage énorme. »
a) Donnez le sens de « singulier » dans le contexte de la phrase.
(0,5 point)
"Singulier" signifie ici "unique",
"particulier", "paradoxal".
b) En quoi cet adjectif est-il approprié pour évoquer la réaction du
narrateur ? (0,5 point)
La menace proférée par Michu devrait
intimider le narrateur, lui faire peur, or c'est tout le contraire,
elle lui donne "un courage énorme". C'est paradoxal, "singulier".
III. Un sujet bien mystérieux
1. « Écoute, me dit-il de sa voix grasse de paysan à peine dégrossi,
écoute, veux-tu en être ? »
a) Quelle est la classe grammaticale de « en » ? (0,5 point)
« En » est un pronom.
b) Que représente ce mot ? (0,5 point)
Ce pronom représente le "complot" et les
élèves qui le préparent. La question peut-être reformulée ainsi : "Veux-tu
participer à ce complot ?"
2. Dans l’ensemble du texte, citez quatre indices qui soulignent le
caractère mystérieux du projet de Michu. (1 point)
Le projet de Michu n'est pas tout de suite
nommé (un simple pronom dans la première réplique), ce qui lui donne
un caractère mystérieux encore accentué par le lexique utilisé par le
narrateur ("secret", "confidence") et enfin par l'attitude de
Michu qui s'exprime "à voix basse" d'un "air grave".
3. « Bast ! me disais-je, ils peuvent bien me donner deux mille vers
; du diable si je trahis Michu ! »
a) Comment les paroles sont-elles rapportées ? (0,5 point)
Les paroles sont rapportées au
discours direct.
b) Que révèlent-elles sur l’état d’esprit du narrateur ? (0,5 point)
L'interjection ("Bast !"), les
exclamations et le dénigrement du risque ("ils peuvent bien me
donner deux mille vers") montrent la détermination du narrateur.
4. D’après l’ensemble des questions et votre lecture du texte, dites
en quoi cet épisode a été déterminant dans la vie du narrateur. (1,5
point)
Pour prouver son courage, sa valeur et sa
fidélité en amitié, le narrateur s'apprête à transgresser les règles,
peut-être pour la première fois. Cet épisode semble avoir forgé son
caractère en éveillant en lui le sens de l'honneur et de la
camaraderie.
Corrigé de la réécriture (4 points)
« Aussi, pendant que le grand Michu parlait, étais-je en admiration
devant lui. Il m'initia d'un ton un peu rude, comme un conscrit dans
l'énergie duquel on a une médiocre confiance. Cependant, le
frémissement d'aise, l'air d'extase enthousiaste que je devais avoir
en l'écoutant, finirent par lui donner une meilleure opinion de moi.
»
Réécrivez ce paragraphe en mettant les verbes au présent de
l’indicatif, et en remplaçant « le Grand Michu » par « Les deux
garçons ».
« Aussi, pendant que les deux garçons parlent, suis-je en admiration
devant eux. Ils m'initient d'un ton un peu rude, comme un conscrit dans
l'énergie duquel on a une médiocre confiance. Cependant, le
frémissement d'aise, l'air d'extase enthousiaste que je dois avoir
en les écoutant, finissent par leur donner une meilleure opinion de moi.
»
Corrigé de la dictée (6 points)
Ce jour là, ils traînaient le long des chemins et leurs pas
semblaient alourdis de toute la mélancolie du temps, de la saison et
du paysage.
Quelques-uns cependant, les grands, étaient déjà dans la cour de
l'école et discutaient avec animation. Le père Simon, le maître, sa
calotte en arrière et ses lunettes sur le front, dominant les yeux,
était installé devant la porte qui donnait sur la rue. Il surveillait
l'entrée, gourmandait les traînards, et, au fur et à mesure de leur
arrivée, les petits garçons, soulevant leur casquette, passaient
devant lui, traversaient le couloir et se répandaient dans la cour.
Louis PERGAUD - La Guerre des boutons
Deuxième partie (15 points)
Corrigé de la rédaction :
La révolte a lieu. Le narrateur est puni. Il écrit à sa mère pour
raconter les faits et justifier sa participation au complot.
Rédigez cette lettre, qui comportera une partie narrative et
développera les arguments avancés par le narrateur pour expliquer son
adhésion au projet de Michu.
Critères de réussite : respect des codes de la lettre, respect de la situation d’énonciation,
cohérence par rapport au texte de départ, utilisation des discours
narratif et argumentatif (présence de plusieurs arguments), Correction de la langue
(respect de la construction des phrases,
précision du vocabulaire, respect de l’orthographe).
Cours Saint-Louis de Monceau, 23 septembre.
Ma chère mère,
Le pensionnat t’a sans
doute informé de la sanction qui me frappe : je ne reviendrai pas à
la maison avant le 5 du mois prochain.
Pauvre maman, tu as
dû en être bien étonnée car tu sais que l’opinion qu’on a de moi est
ce qui compte le plus à mes yeux, que ne je ne hais rien plus que le
désordre et l’insubordination. Et pourtant, sache que mes convictions
sont intactes. Mon apparente déchéance cache en réalité une gloire
nouvelle que je savoure avec intensité. Mais avant d’aller plus loin,
et pour que tu puisses te faire une idée claire des circonstances qui
ont guidé mes choix, il me faut te faire le récit complet des
événements qui m’ont mené là où je suis.
Pour cela je dois
remonter au mois de septembre, à mon arrivée au pensionnat. Je
n’avais alors aucun ami et ma petite taille, mon allure chétive aussi
bien que ma nervosité ne plaidaient pas en ma faveur. Je supportai
cette situation les premières semaines car d’autres se trouvaient
dans la même solitude et j’avais encore l’espoir de m’intégrer. Très
vite, cependant, les groupes se formèrent et je ne faisais partie
d’aucun. Les plus déshérités eux-mêmes avaient formé un clan - mieux
vaut être mal accompagné qu’être seul pour traverser le désert de
l’adolescence – et je fis tous mes efforts pour en être accepté.
Espérant m’attirer la bonne grâce de mes semblables, je m’étais porté
volontaire pour être chef de table à la cantine, rôle sans prestige
qu’on me confia sans peine et qui me donnait l’occasion de servir ma
tablée. En quête d’estime, j’effectuais cette tâche la main
tremblante, avec une équité scrupuleuse, me servant toujours en
dernier et offrant une bonne partie de ma part à mes camarades. Hélas
ces sacrifices furent sans effet. Nul ne me parlait, nul ne me
considérait. Au contraire ma maniaquerie nerveuse m’attira des
railleries. Les « gueux » me surnommèrent le « nain hystérique ».
Même les plus misérables me rejetaient : les laids, les sans-grade,
les faibles – je les hais encore à présent - ne voulaient pas non
plus de moi. Je me morfondais dans la peine et, le temps passant,
cette peine tourna en rancœur et en jalousie.
Car j’enviais les
forts, et particulièrement le grand Michu, chef charismatique de la
bande des plus grands, leader des leaders. Il avait sur tous un
pouvoir invisible mais bien réel. Il pouvait d’une parole faire lever
ou asseoir, faire aimer ou lyncher, donner et reprendre. Je voulais
être Michu, rien d’autre désormais n’occupait mon esprit que cet
objectif là : être respecté de tous, devenir le chef. Il me fallait
pour cela m’approcher de lui. Il m’en offrit lui-même l’occasion.
Depuis déjà quelques
jours le mécontentement grognait à la cantine, le cuisinier était
dépressif et sa cuisine s’en ressentait. Les plats se dégradaient au
fil du temps, le poisson n’était pas frais, les viandes franchement
suspectes, les sauces trop aigres ou trop salées. Michu décida que
nous devions collectivement manifester notre insatisfaction. En ma
qualité de chef de table, il avait besoin de moi, il vint donc me
trouver pour m’exposer son plan. Flatté d’être dans la confidence
d’un caïd comme lui, je lui promis d’être à la hauteur de la tâche
qu’il me confiait : renverser les plats dans l’allée centrale, au
signal qu’il donnerait, en même temps que les autres responsables de
tablée. Bien peu de chose en somme, mais, tu t’en doutes bien,
beaucoup pour moi qui déteste tant la saleté et le chahut.
Qu’importe, la fin justifie les moyens et j’avais moi aussi un plan
secret.
Le jour venu,
sitôt le poisson servi et sans attendre le signal, je me levai et
jetai dans un geste théâtral le plat de morue à la sauce rouille
prévu pour ma tablée. Dans la confusion, les autres chefs de table
suivirent mon geste, croyant avoir manqué le signal de Michu. Vingt-cinq plats
vinrent ainsi maculer le carrelage du réfectoire d’un brouet orange
et nauséabond. Apparaissant aux yeux de tous comme l'initiateur de la
conspiration, j’entamai alors la
Marseillaise du plus fort que je pouvais et, bien que ce ne fut pas
prévu par le plan de Michu, tous mes camarades, du premier au
dernier, se levèrent pour chanter. Ce fut un joyeux désordre qui dura
plusieurs minutes et même après l’arrivée des surveillants. Il fallut
l’intervention du proviseur en personne et d’une escouade de
professeurs pour les faire taire tout à fait. Rassure-toi, chère
maman, pour ma part, aux yeux de nos maîtres, je ne suis en rien dans
cet éclat : par prudence je m’étais rassis bien avant leur
intervention.
Ce matin, quand on nous a interrogés un par un
dans la plus grande confidentialité, je n’ai pas manqué de dénoncer Michu, la tête pensante de ce complot,
l’homme à abattre. Ma crédibilité étant intacte auprès du proviseur
qui ne me connaît que comme un élève respectueux des
règles, Michu a été renvoyé chez son père, définitivement. Pour ma
part, me voilà puni avec tous les autres pour ne pas avoir empêché ce
complot. Aussi, étant consigné avec mes camarades, ne te verrai-je
pas ce dimanche, ma tendre maman, mais ne t’en chagrine pas trop car cette
sanction c’est le destin qui appelle ton fils !
Cette nuit, à la
lueur des bougies, quand le dernier surveillant aura rejoint sa
chambre, je ferai un discours éloquent pour honorer le sacrifice de
Michu, j’évoquerai notre glorieux combat, je féliciterai les forts et
je flatterai les anciens. Puis, dans le
silence du grand dortoir, je deviendrai le nouveau chef. Dès lors
j’aurai tous les moyens de me venger de ces faibles qui me
raillaient.
Ton fils respecté,
Nicolas. |