Brevet 2013 - Corrigé de l'épreuve de français

Le texte - Les questions - La réécriture - La dictée - La rédaction : sujet d'imagination - La rédaction : sujet de réflexion

Le texte

Dans le sud de l'Italie, une vieille femme évoque son enfance, au cours de laquelle sa famille a tenté de fuir le pays pour s’installer à New-York. Elle sadresse à un personnage nommé don Salvatore. Laction se déroule dans la première moitié du XX° siècle.

Don Giorgio nous a menés jusqu'au port et nous avons embarqué sur un de ces paquebots construits pour emmener les crève-la-faim d'un point à un autre du globe, dans de grands soupirs de ?oul[1]. Nous avons pris place sur le pont au milieu de nos semblables. Miséreux d’Europe au regard affamé. Familles entières ou gamins esseulés. Comme tous les autres, nous nous sommes tenus par la main pour ne pas nous perdre dans la foule. Comme tous les autres, la première nuit, nous n'avons pu trouver le sommeil, craignant que des mains vicieuses[2] ne nous dérobent la couverture que nous nous partagions. Comme tous les autres, nous avons pleuré lorsque l’immense bateau a quitté la baie de Naples. « La vie commence », a murmure Domenico. L’ltalie disparaissait à vue d’œil. Comme tous les autres, nous nous sommes tournés vers l’Amérique, attendant le jour où les côtes seraient en vue, espérant, dans des rêves étranges, que tout là-bas soit différent, les couleurs, les odeurs, les lois, les hommes. Tout. Plus-grand. Plus doux. Durant la traversée, nous restions agrippés des heures au parapets[3], rêvant à ce que pouvait bien être ce continent où les crasseux comme nous étaient les bienvenus. Les jours étaient longs, mais cela importait peu, car les rêves que nous faisions avaient besoin d’heures entières pour se développer dans nos esprits. Les jours étaient longs mais nous les avons laissés couler avec bonheur puisque le monde commençait.

Un jour enfin, nous sommes entrés dans la baie de New York. Le paquebot se dirigeait lentement vers la petite île d’ElIis lsland. La joie de ce jour, don Salvatore, je ne l'oublierai jamais. Nous dansions et criions. Une agitation frénétique avait pris possession du pont. Tout le monde voulait voir la terre nouvelle. Nous acclamions chaque chalutier de pêcheur que nous dépassions. Tous montraient du doigt les immeubles de Manhattan. Nous dévorions des yeux chaque détail de la côte.

Lorsque enfin le bateau fut à quai, nous descendîmes dans un brouhaha de joie et d’impatience. La foule emplit le grand hall de la petite île. Le monde entier était là. Nous entendions parler des langues que nous prîmes d’abord pour du milanais ou du romain[4], mais nous dûmes ensuite convenir que ce qui se passait ici était bien plus vaste. Le monde entier nous entourait. Nous aurions pu nous sentir perdus. Nous étions étrangers. Nous ne comprenions rien. Mais un sentiment étrange nous envahit, don Salvatore. Nous avions la conviction que nous étions ici à notre place.

Laurent Gaudé, Le Soleil des Scorfa, 2004.

[1] « fioul » : carburant, dérivé du pétrole, qu'utilisent les bateaux.
[2] « mains vicieuses » : mains de voleur.
[3] « parapet» : barrière placée sur le bord du pont pour empêcher les passagers de tomber à l'eau.
[4] « du milanais ou du romain » : dialectes italiens.


Les questions (15 points)

1. « ce continent où les crasseux comme nous étaient les bienvenus. »

(ligne 13-14)

a)De quel continent s'agit-il ?

Il s'agit du continent américain.

b) Qui est désigné par l'expression « les crasseux » ? Que pensez-vous de cette formulation ?

L'expression « les crasseux » désigne les « miséreux d'Europe » (l. 4), c'est-à-dire les émigrants pauvres venus d'Europe en espérant réussir à mieux gagner leur vie en Amérique. La formulation « les crasseux » est volontiers dépréciative. Elle dénote une forme d'autodérision de la part de la narratrice.

2. En vous appuyant précisément sur le texte, expliquez ce que les personnages attendent de ce nouveau pays.

Les personnages, pauvres en Europe, espèrent, en débarquant en Amérique, commencer une nouvelle vie. Ils souhaitent repartir à zéro dans un lieu où tout sera « différent, les couleurs, les odeurs, les lois, les hommes. » (l.11-12) C'est bien sûr le rêve américain qu'ils ont tous à l'esprit et déjà, sur le bateau, ils ne font que s'adonner au rêve.

3. a) Par quels sentiments successifs passent les personnages aux différentes étapes du voyage ? Illustrez votre réponse par des éléments précis du texte.

Les personnages passent d'abord, durant le voyage, par des sentiments de crainte et de douleur : ils pleurent même lorsque « l'immense bateau a quitté la baie de Naples » (l. 8). Puis, c'est l'espoir face au continent américain : « la joie » (l. 19) les envahit, avec aussi un sentiment « d'impatience » (l. 25).

b) Pourquoi le « sentiment » évoqué à la ligne 29 est-il qualifié d' « étrange » ?

Ce sentiment peut paraître étrange car il s'inscrit en opposition avec le cadre et les circonstances dans lesquelles arrivent les passagers. Tout devrait leur indiquer qu'ils sont étrangers et pourtant, ils se sentent déjà adoptés : « nous étions ici à notre place. »

4. « Le paquebot se dirigeait lentement vers la petite île d'Ellis Island. La joie de ce jour, don Salvatore, je ne l'oublierai jamais. Nous dansions et criions. » (lignes 18 à 20) : identifiez les deux temps utilisés et justifiez l'emploi de chacun.

On retrouve dans ce passage l'emploi majoritaire de l'imparfait de l'indicatif, avec « se dirigeait », ou « dansions » mais également, de façon isolée, un verbe au futur simple de l'indicatif, « oublierai ». Ce dernier est employé par la narratrice en référence au moment de l'énonciation de ses souvenirs. Cela appartient au présent de la narratrice. A contrario, l'imparfait correspond au passé, aux souvenirs qu'évoque la vieille femme en s'adressant à don Salvatore.

5. « Miséreux d'Europe au regard affamé. Familles entières ou gamins esseulés. » (ligne 4) :

a) Quelles remarques grammaticale pouvez-vous faire sur la construction de ces deux phrases ?

Ces deux phrases sont non-verbales, elles ne sont constituées que de groupes nominaux.

b) Quel effet produisent-elles sur le lecteur ?

Ces deux phrases nominales descriptives contribuent à brosser un portrait très dur des êtres qui sont sur le départ. Cela peut susciter chez le lecteur un sentiment de compassion face à la misère ainsi décrite brutalement, sans marques d'émotion. L'ensemble donne l'impression d'une masse d'individus qui se trouvent à la dérive.

6. Pensez-vous que Domonico a raison en murmurant « La vie commence. » (ligne 9) ? Développez votre réponse en quelques lignes. Vous prendrez appui sur le texte et éventuellement votre culture personnelle.

En murmurant « La vie commence », Domenico fait, avec raison, résolument le choix de se tourner vers l'avenir qui les attend, avec beaucoup d'espoir. Les Etats-Unis se sont, depuis leurs origines, construits sur l'immigration. Ce processus continua, tout au long du XXème siècle, à offrir une possible réussite à ceux qui vivaient misérablement en Europe. Ce « rêve américain » fut cependant mis à mal par la crise de 1929 mais redevint réalité à l'issue de la Seconde guerre mondiale.


La réécriture

« Comme tous les autres, nous nous sommes tenus par la main pour ne pas nous perdre dans la foule. Comme tous les autres, la première nuit, nous n'avons pu trouver le sommeil, craignant que des mains vicieuses ne nous dérobent la couverture que nous nous partagions. »

Réécrivez les phrases suivantes, en remplaçant les pronoms de la première personne du pluriel (nous) par la troisième personne du pluriel (ils). Vous ferez toutes les modifications nécessaires.

Correction de la réécriture :

« Comme tous les autres, ils se sont tenus par la main pour ne pas se perdre dans la foule. Comme tous les autres, la première nuit, ils n'ont pu trouver le sommeil, craignant que des mains vicieuses ne leur dérobent la couverture qu'ils se partageaient.»


Tous les émigrants n'étaient pas obligés de passer par Ellis Island. Ceux qui avaient suffisamment d'argent pour voyageur en première ou en deuxième classe étaient rapidement inspectés à bord par un médecin et un officier d'état civil et débarquaient sans problèmes. Le gouvernement fédéral estimait que ces émigrants auraient de quoi subvenir à leurs besoins et ne risqueraient pas d'être à la charge de l'Etat. Les émigrants qui devaient passer par Ellis étaient ceux qui voyageaient en troisième classe [...] dans de grands dortoirs non seulement sans fenêtres mais pratiquement sans aération et sans lumière, où deux mille passagers s'entassaient sur des paillasses superposées.

Georges PEREC, Ellis Island, 1980.


La rédaction

SUJET N°1 :
Imaginez la suite de ce texte, dans laquelle la narratrice raconte les premiers jours des personnages à New-York. Votre texte fera au moins deux pages (soit une cinquantaine de lignes).

Au milieu de tous ces gens plein de vie et d'espoir, des agents en uniforme tentaient de mettre de l'ordre dans cette cohue. La hiérarchie sociale fut respectée et les passagers de 3ème classe que nous étions furent les derniers à sortir de ce grand hall. Nous pensions qu'un ferry nous attendrait pour traverser le jet de pierre qui séparait l'île du reste de la cité, mais seuls les passagers de 1ère et de seconde classe eurent ce privilège. Nous autres, les « crasseux », il nous fallut passer deux nuits et deux journées dans un dortoir sans lumière et sans aération. Pendant cette quarantaine on nous soumit à une série de questions, sans doute pour voir si nous étions dignes du pays que nous prétendions habiter. Notre attente s'acheva après un examen médical et une longue cérémonie des tampons et des signatures. Enfin un petit caboteur nous transporta par groupes de vingt, jusqu'à la ville...

Les quais étaient grouillant de monde, des dockers au travail, des marchands ambulants, des émigrants en attente... et, contre une rambarde, un petit groupe d'hommes en costumes sombres. Sans aucun usage du nouveau monde que nous abordions, et encore tout au bonheur de l'arrivée, nous les saluâmes en Italien. Ils ne répondirent pas à notre salut et sur notre passage l'un d'eux fit trébucher avec sa canne un adolescent qui portait péniblement deux grosses valises de carton. Il chuta, une valise s'ouvrit et le contenu se déversa sur le quai sous les éclats de rire de la bande. Luigi se précipita pour rassembler ses affaires à quatre pattes. L'un des hommes brailla une insulte que nous ne comprîmes pas et lui envoya soudain un coup de botte en plein visage. Le garçon roula à terre, les mains sur son visage au nez ensanglanté.

Tel fut notre premier contact avec les habitants de la ville. Nous étions les derniers arrivés, ceux qui valaient moins que tous les autres. Nous n'étions pas les bienvenus dans cette cité bondée. Nous n'avions rien à donner d'autre que notre force de travail et ce n'était rien, en tout cas pas ici, pas dans cette mégapole qui regorgeait des miséreux vomit chaque jour par les paquebots du monde entier. Il ne fallait pas rester là, il fallait partir. L'ouest avait besoin de bras.

Pourtant il nous fallait bien vivre en attendant, manger, dormir, nous laver. Nos maigres économies fondaient à vue d’œil et au bout de trois jours nous fûmes contraints de fréquenter les soupes populaires au milieu de hordes de « homeless » qui nous regardaient de travers.

Puis ce fut un nouveau voyage. Par voie ferrée cette fois-ci. L'ouest nous accueillit avec la même dureté, mais nous étions tailleurs, cuisiniers, maçons, et l'ouest avait besoin de nous. Il nous fallut du temps pour remonter la pente, si jamais nous y sommes parvenus. Pour ma part, aux yeux de certains, je ne resterai à jamais qu'une émigrée italienne parmi tant d'autres, une citoyenne de seconde zone corvéable à merci. Mais je n'ai pas tout perdu : mes enfants ont réussi et mes petits enfants sont tout à fait américains.


SUJET N°2 :
Le monde d'aujourd'hui laisse-t-il place, selon vous, à un ailleurs qui fasse rêver ? Vous donnerez votre réponse dans un développement argumenté et organisé. Votre texte fera au moins deux pages (soit une cinquantaine de lignes).

En traversant l'Europe, les celtes cherchaient des terres plus riches et de climats plus cléments ; en sillonnant les mers, les vikings rêvaient de conquêtes ; en partant pour le Nouveau Monde les Conquistadores se figuraient les richesses l'Eldorado et, plus tard, les pauvres de l'Europe entière, de l'Irlande à L’Italie partaient pour l'Amérique avec l'espoir d'une vie meilleure. Mais quand est-il du monde d’aujourd’hui ? Laisse-t-il encore la place à un ailleurs qui fasse rêver ?

Il n'est en notre temps plus guère de terres inexplorées, et seules les contrées hostiles, les déserts arides ou les immensités glacées de l’Antarctique sont inhabitées. Le monde d'aujourd'hui, cerné, exploré, surexploité. Avec les technologies modernes, les satellites, les GPS, l’aéronautique, il est devenu petit sans pourtant avoir changé de taille. L’Amérique a fermé ses portes d'or et partout on dresse des murs, on lève des barbelés et on affiche « complet ».

Certes, il reste les promesses de conquêtes spatiales. Mais la froideur martienne et les mondes irrespirables font-ils vraiment rêver ? Alors quoi ? L'imagination ? Les ailleurs fictifs couchés sur papier, sur écran ou sur ondes sonores ? Oui, tant qu'il ne se rattache à aucune réalité, le rêve est encouragé. Un roman de science-fiction, un film d'aventure, la musique, l'art en général et le marketing à outrance fournissent du rêve à qui veut et distribuent à profusion des ailleurs merveilleux plus époustouflants les uns que les autres. Mais ce n'est là rien de réel, rien de concret, rien sur lequel on puisse bâtir un avenir.

A première vue, donc, il n'est plus d'Amérique, de « terre de lait et de miel », de nouveau monde. A première vue seulement, car pour les audacieux le monde n'est pas si triste que cela. En Afrique comme en Europe un grand nombre de jeunes gens qui sont prêts à prendre le large. C'est l'Espagne, la France ou l'Angleterre pour les uns, l'Autralie, la Nouvelle Zélande, le Canada ou le Maroc pour les autres. Étudiants, jeunes travailleurs, retraités, ils rêvent d'un ailleurs plus épanouissant et les plus courageux d'entre-eux se lancent dans l'aventure.

Le monde a changé, on en a fait le tour depuis longtemps. Seule la fiction produit encore des ailleurs inconnus et mystérieux. Pourtant, même explorés, il est, dans le monde réel, des ailleurs pleins de promesses et d’espoirs sur lesquels on peut encore bâtir un avenir, pour peu que les portes s’ouvrent un peu plus, que les étudiants osent partir à l'étranger et que l'Europe ne soit pas si frileuse à accueillir ces jeunes immigrés plein d'énergie et d'enthousiasme qui viennent d'Afrique et d'ailleurs.